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D'Arles à Toulouse :
  Camargue et canal du Midi

Du 15 au 17 avril 2005 avait lieu à Bordeaux le congrès annuel de la FUBicy, auquel nous étions six adhérents du CVV à nous rendre : Katell Trego, Béatrice Kriger, Françoise Meilhan, Thierry Grand Dufay et sa compagne Brigitte Forestier, et moi-même... Très vite, quelques-uns d'entre nous avaient envisagé de faire une partie du trajet, voire la totalité, à vélo : Françoise l'avait d'ailleurs déjà fait l'année précédente (quelque 700 km en quinze jours... Peut-être nous racontera-t-elle un jour son périple dans cette rubrique), et elle avait acheté à cette occasion les deux guides que Julien Savary, président de l'association Vélo Toulouse, a consacrés au chemin de halage du canal du Midi entre Sète et Bordeaux... Elle n'avait pas emprunté cette voie déconseillée avec un vélo de route, mais pour les possesseurs d'un VTT c'était tentant... Malheureusement, en raison des disponibilités et désirs propres à chacun, l'idée d'un trajet commun était tombée à l'eau... Seuls Thierry et Brigitte avaient décidé de faire une partie du retour à vélo (leur projet a été un peu gâché et écourté par la météo), et pour ma part j'avais réservé avec d'autres un aller-retour en train, avec départ dans l'après-midi du jeudi 14 et retour le dimanche 17.

Et voilà qu'à quelques jours du départ, j'apprends qu'il y a le 13 avril un «repas ufologique toulousain» avec pour invité Jean-Jacques Velasco...

L'ufologie, l'étude des ovnis, c'est depuis longtemps mon autre «dada» (je considère qu'on devrait éliminer tous les véhicules intermédiaires entre le vélo et la soucoupe volante, à l'exception peut-être du train si on peut y transporter son vélo !)... Je connais bien le principe des «repas ufologiques» pour avoir souvent fréquenté ceux de Paris (ceux d'origine), et c'est très sympathique (à Paris... Je ne dirai pas la même chose pour Toulouse maintenant que j'en ai fait l'expérience, vous saurez pourquoi à la fin !) : un repas dans la salle d'une caféteria, sans aucune formalité, durant lequel on échange idées et documentations, avec souvent un invité pour parler d'un sujet particulier.

Quant à Jean-Jacques Velasco, c'est (ou c'était, on ne sait pas trop depuis quelque temps si son service existe toujours ni qui le dirige, et c'est un peu par ma faute) le directeur du service «officiel» d'étude des ovnis, le SEPRA (Service d'expertise de phénomènes rares atmosphériques ou quelque chose d'approchant, le nom est assez changeant), dépendant du CNES (Centre national d'études spatiales, à Toulouse). Un personnage que je n'ai jamais rencontré mais avec qui j'ai été en étroite relation : un procès, allé jusqu'en cassation ! Cela parce qu'il n'a pas aimé que je dénonce son incompétence totale en matière de rentrées atmosphériques (quand les satellites retombent sur terre) au temps où son service était le «Service d'expertise des phénomènes de RENTRÉES ATMOSPHÉRIQUES» pour faire plus sérieux... Vous pouvez lire tous les détails de cette triste histoire sur mon siteconsacré aux ovnis et à l'espace si la corruption de notre système judiciaire vous intéresse, mais franchement le vélo c'est beaucoup plus sain !

Quoi qu'il en soit, j'avais enfin l'occasion de rencontrer en face celui qui n'avait jamais voulu s'adresser à moi autrement que par huissier ou avocat interposé ! Ne pouvant pas changer mon billet de train et n'ayant pas les moyens (ni l'envie) d'en payer un autre, je me dis que ça serait peut-être l'occasion de faire une partie du voyage à vélo...

Je commence donc à élaborer ce projet... Avec la «carte solidarité», je peux prendre le TER pour presque rien jusqu'aux limites de la région PACA, soit Avignon ou Arles... Il me restera à rejoindre le canal du Midi à Agde, et le suivre sur 240 km jusqu'à Toulouse... Outre le guide de Julien Savary, une source d'informations incontournable sur le canal du Midi à vélo est le site de Philippe Calas, auteur d'un livre sur le sujet (que je n'ai pas acheté, mais au vu de ce qu'il y a déjà sur le site il doit être passionnant). C'est vraiment tentant, et la traversée de la Camargue en partant d'Arles a l'air d'être un bon prolongement du parcours, lequel atteint alors 360 km... Je dois être à Toulouse le mercredi soir, n'ayant pas les moyens (ni l'envie) de coucher à l'hôtel je ne peux pas trop traîner dans ce voyage qui doit se prolonger à Bordeaux jusqu'à dimanche, je décide donc de partir lundi en fin de matinée à condition que la météo soit bonne... C'est un peu juste pour quelqu'un qui n'a pas l'habitude des longs trajets, mais je suis d'un naturel optimiste...

Le jour venu, les menaces de pluie le mardi ont l'air de s'écarter, le seul problème en perspective est le vent qui doit souffler les trois jours d'ouest en est, dans la mauvaise direction donc, mais pas trop fort (20 à 30 km/h). Rien de très inquiétant, et je décide de partir... Mais il me reste beaucoup de choses à mettre en ordre avant ce départ un peu improvisé, si bien que je quitte Marseille un peu avant 15 h au lieu de 11 h 30, et je suis à Arles à 16 h... Ces quelques heures de retard risquent de me manquer...

À Arles, après avoir traversé le centre ville, une piste cyclable passant sous la nationale permet de quitter la ville... Ça n'est pas très agréable de rouler à vélo dans un tunnel sous une voie à grande circulation, mais c'est bien pratique et pas très long, et au moins ça montre que les vélos ont été pris en compte depuis longtemps !

Ensuite, la D570 traversant la Camargue n'est pas très fréquentée, mais le paysage est un peu décevant... Quelques étangs avec des oiseaux, mais même pas de flamants roses !

Étang en Camargue

Pour vraiment apprécier la Camargue, il faut s'y enfoncer, aller vers l'étang de Vaccarès, mais là je n'ai pas le temps.

Et en plus le vent est assez fort... Quand j'oblique vers l'ouest pour prendre la route d'Aigues-Mortes, il m'arrive d'avoir du mal à avancer... J'espère juste que ça ne durera pas.

Peu avant Aigues-Mortes, je passe sur un pont enjambant un canal où il y a marqué : «Canal du Rhône à Sète»... C'est d'autant plus intéressant qu'un chemin de halage très carrossable le longe, voilà qui pourra me préparer à celui du canal du Midi ! En consultant une carte, je constate que ce canal part de Tarascon... Peut-être aurais-je pu le suivre beaucoup plus tôt, depuis Saint-Gilles, mais j'ignore s'il est praticable (j'ai appris depuis que Julien Savary prépare un troisième guide consacré à ce tronçon, qu'il considère donc comme la suite naturelle du parcours le long du canal du Midi). Le chemin est un peu sablonneux, mais ça me permet de laisser une belle empreinte de mon vélo, à côté de celles des motos et des chevaux qui semblent l'emprunter souvent.

Canal du Rhône à Sète

Arrivé à Aigues-Mortes, j'apprends qu'il n'y a pas vraiment de canal allant jusqu'à Sète, juste un canal qui va se jeter dans l'étang de Mauguio un peu plus loin, m'obligenant à remonter vers le nord et sans assurance que sa berge est praticable. Je juge préférable de me diriger vers le Grau-du-Roi, en suivant la D979. C'est une route très fréquentée longeant un autre canal, il semble qu'un chemin de halage existe sur l'autre berge, mais il a l'air condamné; je n'ai pas vérifié, s'il est praticable ça doit être beaucoup plus agréable que la route !

Après le Grau-du-Roi, je m'efforce de suivre la côte, en évitant les embranchements qui m'incitent à rejoindre la route principale... Un joli bord de mer, qui me gratifie peu après la Grande Motte d'un beau coucher de Soleil dans un ciel brumeux...

Coucher de Soleil

Il est alors 20 h 30, et je n'ai fait que 70 km alors que mon objectif était 120 dans la journée... Je voudrais au moins atteindre Sète, à encore 40 km, mais de nuit ça va être difficile, même si le vent s'est calmé.

Peu avant Palavas, je vois enfin des flamants ! J'hésite à prendre une photo au flash de peur de les effrayer, mais je décide que l'art a la priorité et je prends donc cette magnifique photo (je vous assure que les quatre taches en bas, ce sont bien des flamants, qui sont par ailleurs restés totalement insensibles — dans tous les sens du terme —  à mon flash) !

Flamants noirs

Après Palavas, une étroite bande de terre sépare la mer d'un étang, parcourue par une petite route déserte et pas éclairée; je ne suis pas sûr qu'elle ait une issue, mais je voudrais éviter les routes à grande circulation qui contournent l'étang, je tente donc le coup... Après avoir traversé une zone industrielle, cette route se poursuit entre un talus à gauche et un étang à droite peuplé entre autres de flamants roses, avec des clôtures des deux côtés... Par endroits, un petit escalier permet d'escalader le talus, dont la clôture disparaît alors... Je finis par être tenté, et j'ai le plaisir de découvrir une belle plage de sable blanc... Il est 22 h, je voulais aller plus loin, mais je doute de trouver un coin aussi agréable pour dormir, et je ne risque guère d'être dérangé à côté de cette route dénuée de toute place de parking... Après avoir péniblement fait escalader l'escalier à mon vélo et sorti le sac de couchage, je m'endors seul sur des kilomètres de plage, bercé par le bruit de la mer d'un côté et les cancanements des flamants de l'autre (oui, le flamant cancane; ça n'est pas très mélodieux, mais bien plus supportable que les cris des gabians se disputant une place sur une cheminée, auxquels je suis habitué).

Dire qu'il y a des gens qui paient pour passer la nuit entre quatre murs dans un petit lit et prendre une douche le matin dans un minuscule cagibi... Quand je me réveille, toujours seul (j'exagère un peu, j'ai vu deux ou trois adeptes du footing matinal en une demi-heure, avant de me décider à me lever) sur mon grand lit de sable blanc, un bain moussant d'une fraîcheur revigorante m'attend dans une immense baignoire !

Bain

Pour être tout à fait franc, le bain moussant n'était pas vraiment prévu... J'espérais prendre grâce au retardateur une photo très artistique me montrant nu, courant dans des gerbes d'éclaboussures (j'avais amené un maillot, mais sur ma plage déserte c'était superflu), mais à quelques mètres du rivage la plage faisait un brusque dénivelé, et avec une grosse vague en prime j'ai été quasiment englouti ! Et l'eau étant tout de même un peu trop revigorante à mon goût je n'ai pas tenté un autre essai...

Il est 9 h, je me sens suffisamment revigoré pour les 280 km qui me restent...

Prêt au départ

En longeant l'étang, je vois enfin, de jour, de nombreux flamants... Pas très roses d'ailleurs : ceux-là doivent être des sédentaires, qui ne sont pas allés passer l'hiver en Afrique pour se gaver de crevettes !

Les fla... les fla...

Depuis la «cathédrale de Maguelone» qui termine ma petite route, une digue étroite coupe l'étang en deux en direction de Sète...  Là encore, je ne suis pas sûr qu'elle aboutisse quelque part, elle s'étent à perte de vue, mais c'est tellement pittoresque, j'ai un peu l'impression de traverser l'étang en bateau...

À travers l'étang

J'ai de la chance, après quelque sept kilomètres un pont traversant l'étang permet de rejoindre la côte au lieu dit Les Aresquiers... La digue a l'air de continuer, mais un panneau indique qu'elle est interdite à tout véhicule et elle se dirige vers ce qui semble être une raffinerie de pétrole, je préfère donc la quitter.

En rejoignant la départementale 60, je tombe sur une curieuse piste cyclable :

Piste pour pédalos ?

Je m'apprête à sortir les flotteurs, quand j'aperçois la vraie piste cyclable, de l'autre côté de la route ! Le panneau incite juste à serrer à droite pour traverser la route un peu plus loin, mais le marquage étant très peu visible ça n'est pas clair du tout ! Ceci dit cette piste cyclable menant aux abords de Sète, séparée de la route par une rangée d'arbres, est exemplaire...

Le guide de Julien Savary conseille un parcours original pour rejoindre le canal du Midi depuis Sète, mais étant donné mon retard je préfère prendre la nationale 112 jusqu'à Agde; c'est le chemin le plus direct, la circulation n'a rien d'excessif et la vue est plutôt belle, entre la mer et l'étang de Thau.

Je voulais rejoindre directement le canal du Midi à Agde, mais une petite erreur d'orientation m'a permis de visiter les ruelles pittoresques de la vieille ville...

Ruelle d'Agde

Enfin, après quelques hésitations, je rejoins le canal qui va me conduire, je l'espère encore, jusqu'à Toulouse :

Enfin le canal

Il est 13 h, j'ai encore 240 km à parcourir, et le vent est toujours là, pas très fort mais toujours dans le mauvais sens !

Peu après, le chemin de halage prend des dimensions qui resteront assez habituelles, et les racines des platanes qui le traversent quelquefois rendent le parcours quelque peu cahotique, mais c'est tellement plus beau qu'une route goudronnée et toutes les machines à polluer qu'il y a dessus !


Petit pont

Au niveau d'un pont, j'arrive à un panneau indiquant que le chemin est interdit à toute circulation et qu'il faut traverser, avant une passerelle en mauvais état... Il y a aussi des rubans de signalisation qui devaient barrer le passage, mais puisqu'ils ont été coupés je passe outre... Le guide indique ce passage dangereux, mais ne recommande pas de changement de côté... Je vois alors que des cyclistes suivent le chemin de halage sur l'autre rive, je préfère donc revenir sur mes pas pour suivre leur exemple... et je traverse ainsi à nouveau le passage dangereux qui doit être l'unique raison de cette interdiction ! Je me retrouve sur un chemin de terre étroit et mal entretenu, et je vois cette fois de l'autre côté, celui que je viens de quitter, des cyclistes qui suivent un large chemin bien roulant ! Et pour couronner le tout, je rencontre peu après mon premier obstacle :

Arbre déraciné

Mais la nature étant bien faite, vous pouvez constater qu'elle a laissé un passage !

Ces péripéties m'incitent à changer de côté à la première occasion... pour me retrouver sur un chemin de terre très étroit !

Un peu plus loin, ce chemin longe un parc d'attractions... J'essaierais bien quelques-uns de ces trucs, mais le parc n'est pas en activité.

Parc d'attractions

Plus loin, à l'approche de Béziers, le chemin de halage prend des allures de vraie piste cyclable, et de fait de nombreux cyclistes le fréquentent. Une société de location de bateaux, la «Crown Blue Line», a d'ailleurs étendu son activité à la location de vélos, comme en témoigne un parc imposant où des dizaines de vélos sont alignés; quant à sa pizzéria «le Rendez-vous des bateliers», elle semble être plutôt un rendez-vous de cyclistes !

Peu avant Béziers, le canal enjambe une rivière, l'Orb... C'est assez surprenant de longer un cours d'eau qui passe au-dessus d'un autre ! D'autres «ponts-canaux» de ce type ont été érigés tout au long du canal, la plupart, comme celui-ci, de construction assez récente.

Passage au-desssus de l'Orb

J'arrive à Béziers juste 24 h après mon départ d'Arles, après avoir parcouru 160 km... Il m'en reste 200 à parcourir en 27 h, ça va être difficile !

Les écluses de Fonserannes, sept qui se suivent, constituent une curiosité... On en a un aperçu sur ces deux photos, prises d'un côté et de l'autre de la même passerelle :

Ecluses en bas

Ecluses en haut

On voit que la route monte pas mal, mais heureusement ça ne dure pas... C'est l'avantage de suivre un canal  : hormis au passage des écluses et quelquefois lorsqu'on ne peut pas passer sous un pont, il n'y a pratiquement aucun dénivelé...

Peu après, le canal passe dans un tunnel long de 173 m, le tunnel de Malpas. Cette autre curiosité date cette fois de la construction d'origine du canal en 1680, et c'est son concepteur, Pierre Paul Riquet, qui s'est entêté à le creuser contre l'avis de tous. On peut le visiter à pied, mais ça n'a pas l'air passionnant...

Tunnel de Malpas

Je passe à Capestang à 18 h 30, après avoir parcouru juste la moitié du chemin... Il ne me reste guère plus de 24 h pour l'autre moitié, je sais que je n'y arriverai probablement pas, d'autant que le vent souffle toujours et que mes genoux commencent à me faire mal... Je n'ai plus vingt ans, et en plus quand je les avais je ne faisais pas ce genre de chose !

Je rencontre alors un deuxième obstacle :

Cheval

Mais la nature étant bien faite... Non je plaisante, même s'il a l'air de se moquer de ma monture métallique, il m'a gentiment laissé passer devant lui, non sans me réclamer quelques morceaux de gaufres au chocolat comme droit de passage...

Le chemin devient difficile, souvent couvert de graviers... Ça facilite sûrement l'accès des véhicules d'entretien quand le terrain est boueux, mais à vélo c'est ce qu'il y a de pire, on a l'impression de pédaler dans la semoule... Le vent se lève, mes genoux me font de plus en plus mal, j'aurai du mal à tenir le rythme...

Je m'arrange pour faire la pause repas lorsque le canal est dans l'axe du coucher du soleil, mais le ciel étant nuageux ça n'est pas très réussi :

Coucher de soleil sur le canal

Je suis décidé à continuer tard dans la nuit pour rattraper un peu de retard... Ça n'est pas désagréable de rouler la nuit sur le chemin de halage, on peut s'amuser à poursuivre les nombreuses chauves-souris, mais le vent ne faiblit pas et mes genoux oui... Je m'arrête finalement au coin d'un pré vers 22 h un peu après le Somail, alors qu'il me reste 160 km à parcourir pour atteindre Toulouse... Je suis décidé à me lever le lendemain à 6 h pour garder une petite chance d'y arriver...

Mais 6 h c'est tôt, et c'est finalement à 8 h que je pars, avec pour ambition d'atteindre Villefranche-de-Lauragais, 40 km avant Toulouse... J'espère pour cela parcourir les 60 km me séparant de Carcassonne avant midi.

Peu après, je franchis le pont-canal de Répudre, premier aqueduc navigable du monde, le seul pont-canal du canal du Midi d'origine... C'était bien avant l'invention de la bicyclette, et même avec une fourche et une selle à suspension ça se ressent !

Aquduc de Répudre

Je n'avance pas beaucoup, il est temps de mettre un peu de musique... Ça tombe bien, je reçois très bien Radio Nostalgie, une de mes préférées, ce qui n'est pas toujours évident avec mon poste robuste mais pas très performant (un combiné radio-télévision noir et blanc qui était offert avec un abonnement à une revue... Depuis plus de trois ans que je le fixe sur le vélo pour les longues randonnées, il a supporté sans broncher quelques chutes, averses, gels... et maintenant quelque 200 km de chemin de halage du canal du Midi !)... Quand on est seul, la musique c'est très efficace; c'est entraînant, ça donne du rythme, mais aussi des repères temporels : 3 à 5 minutes par chanson, un quart d'heure entre les publicités, on ne passe plus son temps à regarder la montre...

Me voilà donc reparti, le paysage est toujours aussi agréable, et il n'y a plus beaucoup de vent, je roule souvent à plus de 20 km/h sur le chemin de terre toujours coupé par des racines de platanes, ça secoue un peu mais c'est moins monotone qu'une route goudronnée...

Ceci dit, je commence tout de même à fatiguer et je multiplie les pauses, si bien qu'à midi je ne suis même pas à Trèbes, à quinze kilomètres de Carcassonne... où je crève ! Sans doute une petite branche au vu de la taille du trou dans le pneu... Ça n'est pas trop grave, mais avec la demi-heure perdue je commence à douter d'arriver même à Villefranche dans les temps (18 h si je ne veux pas être en retard au «repas ufologique» de Toulouse ayant motivé cette aventure). Le plus difficile n'est pas la réparation, mais de gonfler mon gros pneu avec une petite pompe, en oubliant que j'ai une cartouche d'air comprimé dans ma trousse de réparation !

Il est finalement plus de 13 h quand j'entre à Carcassonne, où je me restaure un peu... En repartant, j'ai la mauvaise idée de vouloir suivre le chemin de halage du canal, et je ne me laisse pas intimider par une flaque de boue sous un pont, d'autant que de nombreuses traces de pneus de vélos attestent qu'elle n'a pas arrêté d'autres cyclistes... Mais la boue, causée par un déversement d'un liquide noirâtre par des tuyaux dont je préfère ne pas connaître l'origine, est plus liquide que je ne le pensais, et le résultat est là :

Pantalon blanc à pois noirs

De plus, un peu plus loin, il y a des effondrements et le chemin devient franchement impraticable. J'aurais mieux fait de lire avec attention le guide de Julien Savary, qui indique bien ces problèmes... Il précise aussi, dans cette édition datant de 2002, que la mairie de Carcassonne a pris la décision d'aménager cette portion, mais visiblement rien n'a été fait !

Bref, ne suivez pas mon exemple : à Carcassonne, évitez le canal... D'ailleurs évitez même Carcassonne, des gens qui préfèrent déverser des rejets fétides dans le canal plutôt que d'en faire un lieu de promenade comme dans TOUTES les autres villes traversées ne sont sûrement pas fréquentables !

Après ce passage de la honte, le chemin de halage retrouve tous ses attraits... Un beau chemin de terre, strié de nombreuses traces de pneus de vélos et rien d'autre :

Empreintes de pneus

Les berges du canal sont tenues par les VNF (Voies navigables de France), qui les interdit à tous les véhicules à moteur (horsmis ceux de l'entretien) mais tolère les vélos. Et les éclusiers aussi bien que les navigateurs apprécient cette fréquentation par les cyclistes, qu'ils ne manquent jamais de saluer au passage. Bien que la saison ne soit pas encore très favorable, je n'étais sans doute pas le seul parmi les cyclistes que j'ai rencontrés à être parti pour une longue randonée... J'ai croisé par exemple un jeune couple tirant une remorque (à deux roues et plutôt large, ça n'a pas dû être facile pour eux lorsque le chemin était très étroit).

Toujours aussi beau, le paysage

En approchant de Castelnaudary, le chemin est aménagé en piste cyclable... On voit qu'on n'est pas à Carcassonne !

Piste goudronnée

Il est 16 h 30 quand j'arrive à Castelnaudary, et je décide d'arrêter là, à 60 km de Toulouse... J'aurais sans doute pu aller au bout de mon projet sans mes trois heures de retard au départ et avec moins de vent ou mieux un vent dans l'autre sens, mais si je dois recommencer (sûrement pas pour l'ufologie) je compterai trois jours pour le canal et un jour de plus, voire deux en faisant quelques détours, pour la Camargue.

Je quitte donc le canal à cette nouvelle série d'écluses, pour chercher la gare.

Écluse de Castelnaudary

Je regrette tout de même de m'arrêter à moins de quinze kilomètres du point culminant du canal, le Seuil de Naurouze, après lequel j'aurais eu le plaisir de rencontrer des écluses qui descendent ! Et la suite du chemin jusqu'à Toulouse était une piste cyclable aménagée (mais au fond, un chemin de terre c'est plus sympathique). Enfin, Castelnaudary, c'est tout de même déjà le pays du cassoulet, même si ça n'est que «le fils» !

J'arrive juste à temps pour prendre un train à 17 h, qui m'amène à Toulouse en moins d'une heure... La conductrice m'aide gentiment à accrocher puis à décrocher mon vélo un peu lourd (la radio-télévision à l'avant et le coffre à l'arrière, ça pèse !), et il n'y a pas de problème... 300 km à vélo et 150 en train depuis mon départ de Marseille guère plus de 48 h plus tôt, c'est tout de même une bonne moyenne pour le randonneur très occasionnel et pas du tout sportif que je suis...

Le temps de flâner un peu dans Toulouse, et je rejoins le Flunch où doit se dérouler le fameux «repas ufologique» pour lequel j'ai fait cette aventure... Je suis en avance, il y a déjà un «ufologue» de la région que je connais, je discute un peu et je vais chercher et remplir un plateau parce que le voyage m'a ouvert l'appétit et que je suis un peu las des sandwiches et viennoiseries ! À mon retour, l'organisatrice (qui se cache sous le pseudonyme d'«Isaure», une figure légendaire de Toulouse; j'espère qu'elle n'est pas représentative des Toulousains !) est là, m'attendant de pied ferme pour m'annoncer... que je ne peux pas assister au débat ! Prévenue de ma présence, elle a téléphoné à M. Velasco, l'orateur (celui qui m'a attaqué en justice pour avoir dénoncé son incompétence en matière de rentrées atmosphériques), qui lui a répondu que si j'étais là il ne venait pas... Et donc, par «respect» pour son invité, elle a décidé que c'était moi qui devais partir ! J'avais beau dire que je n'étais pas venu pour perturber le débat, que ça n'était pas du tout mon genre, que je m'engageais même à ne pas ouvrir la bouche, je ne pouvais pas rester puisque Monsieur Velasco ne pouvait pas tolérer ma présence ! Apparemment, on respecte plus ceux qui ont une grosse voiture acquise en trompant les contribuables pendant vingt ans que ceux qui font 300 km à vélo pour assister à une conférence...

Enfin, ça c'est l'ufologie, et plus précisément l'ufologie toulousaine... J'éviterai la prochaine fois... Ceci dit les ufologues sont souvent infréquentables, mais les ovnis c'est passionnant ! Quant au cyclisme, et plus encore le cyclisme toulousain, c'est un tout autre milieu, et il me restait peut-être un espoir de ce côté-là. Peu avant, j'avais téléphoné à Julien Savary, l'auteur de l'excellent guide qui m'avait guidé et président de l'association Vélo Toulouse, pour savoir si je pouvais passer à l'association le lendemain pour faire connaissance, puisque mon train pour Bordeaux partait le soir à 20 h. Il m'avait répondu qu'il n'y avait personne le jeudi, la permanence étant le mercredi jusqu'à 19 h 30... Puisque les ufologues ne voulaient pas de moi, j'avais peut-être encore une chance de rencontrer les cyclistes !

Alors, le temps d'engloutir mon repas, et j'achète au premier kiosque à journaux un plan Blay «Original Pocket» (ça n'est pas vraiment de la publicité !) pour trouver l'avenue Collignon, siège de l'association... Elle figure bien dans la liste des rues, avec pour référence la case «AS28», mais elle est introuvable sur le plan ! Je décide tout de même d'aller dans le quartier indiqué pour demander à un indigène s'il connaît cette avenue... Réponse de la première indigène rencontrée, par ailleurs très aimable : non, je ne vois pas, et j'habite juste à côté, ça n'est sûrement pas par ici... Bon... Je retourne à la gare, toute proche, où il y a un plan de la ville... Et j'y trouve l'avenue Collignon, dans le quartier indiqué, à guère plus de 50 m de l'immeuble de mon indigène !

Et en plus c'est une avenue plutôt grande ! J'y trouve la «Maison du vélo» de Toulouse, une vraie maison et bien plus grande que la nôtre à Marseille (forcément, à Toulouse il y a beaucoup de vélos), mais il est presque 20 h et elle est fermée... Décidément, entre ses ufologues et leur notion bien particulière des repas conviviaux ouverts à tous et ses indigènes qui ne connaissent pas leur quartier, je n'ai pas de chance avec Toulouse ! J'y ai pourtant une partie de mes racines, ma mère étant toulousaine, et beaucoup de souvenirs d'enfance. Enfin, tant pis, il ne me reste plus qu'à m'éloigner de la ville pour trouver un endroit tranquille pour dormir... J'en trouve un à côté d'un cimetière, au moins je suis sûr que ces résidents-là ne vont pas me décevoir...

Puisque je disposais presque toute la journée du lendemain, j'avais envisagé de retourner en train à Castelnaudary pour faire les soixante kilomètres de canal qui me manquaient, mais mes voisins de l'autre côté du mur étant vraiment peu bruyants j'ai finalement retrouvé mon heure de lever habituelle, à midi ! (Le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt, mais il profite à ceux qui se couchent tard).

Et puis il n'y avait aucun nuage, et reprendre le canal vers l'ouest en début d'après-midi n'aurait pas arrangé mon coup de soleil ! J'ai donc renoncé sans trop de regrets à ce projet, en ayant tout de même l'intention de visiter un peu le canal à Toulouse...

Et justement, en retournant vers le centre, je rencontre un panneau indiquant «Piste cyclable vallée de l'Hers et canal du Midi» ! Malheureusement, peu après il n'y a plus de panneau... Il y a un grand parc sportif, les Argoulets, mais aucune indication. En consultant le plan je vois que le canal du Midi est bien loin mais que l'Hers passe juste derrière le périphérique qui longe la zone sportive. Je décide donc de traverser le périphérique par le grand carrefour qu'il forme avec la route d'Agde, ça n'est pas vraiment fait pour les vélos mais j'ai survécu.

Et je suis récompensé, en arrivant au bord de l'Hers, par ce panneau :

Gramont jardins familiaux

Il y a écrit, à droite : «Balma, Base des Argoulets par la rive droite de l'Hers»... Pas de doute, je suis sur la bonne voie !

Quoique, à bien y réfléchir, le panneau est beaucoup moins engageant quand il est replacé dans son contexte, et comme «réseau vert» on fait mieux !

Panneau au milieu d'une décharge sauvage

Je tente donc de suivre cette rive droite de l'Hers, mais je renonce après quelques mètres : c'est un sol de terre irrégulier et couvert d'herbe touffue, totalement impraticable à vélo... Il me semble pourtant qu'il y a un vrai chemin de l'autre côté, mais on n'a aucun moyen de le rejoindre par la passerelle... Je décide donc de retraverser le périphérique pour tenter le coup au carrefour suivant, l'avenue des Aérostiers, qui a l'air beaucoup plus fréquentable à vélo... Et en attendant il y a un Quick au bord de la route, j'ai encore un peu faim et je n'ai rien contre les hamburgers de temps en temps...

Je rejoins ensuite la zone sportive des Argoulets, qui suit le périphérique sur une grande distance... C'est un grand et joli parc, très agréable à pied ou à vélo.

En passant, je vois un parcours pour vélo assez intéressant... Je suis bien tenté d'essayer d'y faire un tour avec mon vélo chargé comme un mulet, mais j'y renonce pour ne pas ridiculiser les gamins qui s'entraînent avec leur BMX...

Parcours pour BMX

Plus loin, une pancarte à l'intention des cyclistes indique la direction du canal du Midi, et une autre celle de la vallée de l'Hers, par un passage souterrain au-dessous du périphérique... Décidément, à Toulouse, on finit toujours par trouver ce qu'on cherche, il faut juste être un peu persévérant !

La piste cyclable continue à longer le périphérique, passant d'un parc à un autre, et elle est très agréable...

Belle piste longeant les parcs

Un peu plus loin, elle passe à côté de la Cité de l'Espace (qui dépend du Cnes, et je n'ai rien contre le Cnes quand il ne mélange pas les ovnis et les rentrées atmosphériques et quand il ne cherche pas par tous les moyens à cacher ses erreurs !) :

Fusée Ariane V et satellites

Et puis les parcs se terminent, on se retrouve sur une grande route, et il n'y a de nouveau plus aucune indication sur la direction du canal du Midi ! Me voyant hésiter, un autre cycliste, habitué du parcours, m'invite à l'accompagner... Nous en profitons pour comparer nos sentiments sur les aménagements cyclables de nos villes respectives; il va sans dire qu'une telle comparaison est toujours en défaveur de Marseille, qu'il connaît d'ailleurs.

Et à 14 h 30, je finis par retrouver, avec un grand plaisir, mon canal, avec des berges très bien aménagées à Toulouse...

Canal du Midi à Toulouse

Après être passé à côté de toutes les industries aéronautiques et spatiales de Toulouse (Cnes, Esa, Onera...) et l'aérodrome de Toulouse, le canal me ramène à la gare, où je pourrai attendre le train qu'occupe mon fantôme depuis Marseille... Mon compteur affiche maintenant 350 km, avec ma petite promenade à Toulouse j'ai finalement presque atteint mon objectif... Il ne me reste plus qu'à démonter mon vélo (le train n'est apparemment pas équipé pour les vélos, mais la SNCF accepte comme bagages à mains dans tous ses trains les vélos démontés et protégés par une housse... Ça n'est guère possible en principe qu'avec les VTT «nus», sans garde-boue, porte-bagage ou autre accessoire encombrant, mais j'ai fait quelques adaptations sur le mien pour cela, et il a beaucoup voyagé ainsi).

Au-revoir Toulouse, Bordeaux m'attend... Une autre ville où les vélos sont partout (il n'y a vraiment qu'à Marseille que rien n'est fait pour les encourager), et où m'attend un congrès bien sympathique... sur le cyclisme urbain, et non l'ufologie ! Tout s'est très bien passé, le compte-rendu commun sera ailleurs sur ce site, je ferai juste une remarque concernant mon retour le dimanche... Je savais que certains trains grandes lignes entre Bordeaux et Marseille avaient un compartiment à vélos sans que cela soit indiqué sur les fiches horaires, et Françoise et moi avions donc longé tout le train pour voir s'il n'y en avait pas un, sans succès... J'ai donc démonté mon vélo, qui gênait malgré tout le passage puisqu'il ne rentrait pas dans les compartiments à bagages (il n'excédait pourtant pas les dimensions autorisées)... Mais en parcourant le train de l'intérieur, nous avons ensuite constaté qu'il y avait un compartiment spécial, sans banquettes et spécifiquement réservé pour six vélos, mais il n'était pas indiqué à l'extérieur et de ce fait il était vide... Bravo la SNCF !

Enfin, je me suis bien remis de mon voyage (je craignais que le mal au genoux n'évolue en une tendinite durable, mais non), et j'ai retrouvé ma chère ville asphyxiée par les automobiles... Mais qui sait, peut-être qu'elle se réveillera un jour, comme d'autres villes l'ont fait il y a dix ou vingt ans... On dirait même qu'il y a un frémissement dans ce sens...

Robert Alessandri



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